La table de Clotilde du 11 mai 2012

Notre restaurant habituel, dont nous perdons l’habitude, étant fermé pour cause d’incendie, avait contraint Clotilde à chercher et à tester une nouvelle adresse. Ce fut, dans le quartier du Marais, « Le chant des voyelles » 2 rue des Lombards, une rue animée à toute heure, avec ses quatre clubs de jazz (dont le Sunside, mon favori), ses bars gays, ses boutiques de fringues et de design déjanté. On croise des hommes à moustaches, jambes moulées dans du similicuir et cartable tapotant les fesses à chaque pas ; d’autres hommes discrets et anonymes en vestes de daim et pantalons de velours côtelés ; des filles riantes et couinantes perchées sur des talons aiguilles de verre et de liège (vous vous amuserez à restituer chaque faune à son lieu de prédilection). Un quartier sympathique où flottent, dans le vent du soir, des drapeaux arc-en-ciel accrochés aux façades … Une rue sympathique, que parcourent aussi touristes et pieuses personnes se rendant à l’office de l’église St-Merry toute proche.
Comme je marchais à notre rendez-vous, je pensai à Rimbaud, qui avait coloré les voyelles : A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu. Vous ne remarquez rien ? Chaque mot n’a pas la voyelle de la couleur qu’il désigne ! On doit cette découverte vers 1970 à l’universitaire et érudit Lefrère. Ainsi, durant une centaine d’années, on s’extasia certes et avec raison, sur le génie rimbaldien, l’homme aux semelles de vent, à la poésie si moderne… On loua le poète parfait, visionnaire et voyant mais on ne vit pas l’évidence. Cette anecdote de vie littéraire me fascine.
Je traversai la petite terrasse avec tables de fer et chaises de chrome et de mailles en plastique. Je longeai le bar, répondis par un sourire à un jeune garçon qui me souhaitait la bonne soirée, entrai dans la salle de restaurant, une salle superbe avec pierres de tailles apparentes. Le moindre rayon de soleil met en émoi nos amies, lesquelles se parent immédiatement de tenues légères. Et grelottent ensuite car en mai on ne se découvre pas d’un fil, ne dit pas le dicton.
Hôtesse d’accueil, grande prêtresse de nos diners mensuels, Clotilde portait une longue robe noire et d’été. Sur ses épaules frêles, elle avait jeté un chandail de laine, emprunté à une convive aimable. Clotilde conversait avec deux nouvelles personnes, Laura et Lena, à qui bienvenue fut souhaitée. A leurs cotés, Marie siégeait, toute vêtue de lainage rouge ″commandé et tricoté sur mesure avec choix personnel des motifs″ me précisa-t-elle. L’ensemble était parfait. La table voisine réunissait Loan, chemisier gris sur jupe en jean et sa gentille amie, Annie, adorable dans sa robe-veste grise à lisérés rouges. Elles étaient venues avec Sandrine, portant chemisier écossais. Quant à Géraldine d’Antony, elle frissonna toute la soirée dans sa robe d’été à fronces malgré une veste de lin beige qu’elle ne retira pas. Nous évoquâmes l’élection présidentielle, parlâmes de la météo pour mieux oublier l’une et l’autre puis nous nous interrogeâmes de savoir comment un gaucher coupe-t-il sa viande. Prise d’attaque de la main gauche ou de la main droite ? Gauchère contrariée mais végétarienne, je ne pus renseigner mes amies de table. Nos sujets de discussion sont parfois de hautes tenues ou de denses dérisions, c’est selon.
Agnès
Aurélie d’Angers frissonnait dans son chemisier corail. Magaly et Emiko papotaient tant et plus.
Habituée que j’étais à voir depuis des années Nadia avec sa longue chevelure blonde et artificielle, je ne la reconnus par ce soir avec sa longue chevelure naturelle et auburn. J’en fus confondue. Son visage s’était affinée, plus féminin encore et sur lui je justifiai mon impardonnable méprise. Nos désormais inséparables étaient présentes, Sonia en rouge et noir et Jacqueline Joly en noir et en rouge. Heline tremblotait sous son haut splendide, turquoise nuance vert d’eau. Karina, veste jaune sur haut blanc à bandes bleu était venue avec son épouse Cesira,. Et aussi Xena, une petite chienne épagneule thibétaine soient deux gros yeux noirs sur une fourrure couleur goupil. Agnès de Pau nous fit la surprise de sa présence. Notre amie avait quitté le matin son sud résidentiel, sous 31° et était arrivée en la capitale sous 16°. Ses jupe et corsage blanc et ses sandales ne la réchauffèrent point… Puis Perle, robe noire dégageant la poitrine généreuse et Géraldine de Paris, sous un chapeau noir à bandeau violet, surgirent tandis que nous buvions nos cafés. Quelque chose que je ne parvenais pas à déterminer me tracassait depuis une heure. Mais je fis confiance à mon sixième sens, l’intuition. Oui, quelque chose n’allait pas dans cette salle de restaurant. Et je trouvai : il n’y avait pas de pierres de taille apparentes, seulement une photographie étirée, redupliquée, collée contre les murs. Il y eut aussi un autre désagrément : la musique forte au moment du café. Ma nostalgie proustienne en fut outragée. Cependant, la nourriture est bonne et copieuse, et pas onéreuse, meilleure que celles que nous connûmes ailleurs et il est probable que nous reviendrons en cet établissement sympathique où gracieusement fut servie, à chacune en fin de repas, une coupe de champagne.
Dernière information : une récente découverte en neurobiologie démontre qu’effectivement, des individus voient les lettres de l’alphabet en couleurs. Ce qui n’atténue en rien la puissance créatrice rimbaldienne.
Vous surveillerez, début juin, ce site et le courriel d’invitation que Clotilde vous enverra, vous informant du lieu de notre prochain diner. Rendez-vous est pris pour le vendredi 8 juin 2012. Krissie

Krissie

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