La table de Clotilde d’octobre 2012

A l’automne 2008, lorsque furent organisés nos premiers diners à « l’Absinthe », il nous était réservé la longue banquette qui court le long entier d’un mur du restaurant. Tables contre tables en une ligne compacte et soudée, cette disposition spatiale s’avéra peu pratique pour les amies désireuses de se rendre aux toilettes ou fumer dehors mais surtout, elle nous cloisonnait, nous rivant chacune à sa place assignée, et limitant les contacts aux seules personnes côtoyées. Peu après, nous optâmes pour l’occupation de plusieurs tables autonomes dans la salle. Et nous pûmes à notre gré nous déplacer sans déranger.
Ainsi, en ce mois d’octobre, à la table n°1, Loan, longiligne en blouse fuchsia ceinture noire sur jupe noire, faisait la parisienne toute en retenue et élégance.
De sa présidence actuelle de l’ABC, elle nous dit qu’elle la voulait consensuelle, sans exclusive et refusait la division en chapelles hormonées ou pas de notre si petite communauté. Puissions-nous ne pas nous diviser tant nos adversaires sont divers et nombreux : la liberté est un combat sans cesse recommencé. L’oublier est se préparer un avenir dangereux.
Pour son premier diner, Émilie était venue en tailleur chic noir trois pièces et corsage blanc. Jeanne, haut brun et jupe verte, accompagnait une amie qu’on dit bio, Michèle, laquelle arborait une robe noire à manches longues de mousseline et pendentif à chainette pour quartiers d’orange métallique et précisément orange perlés.
A la table n°2 avaient pris place Karine en robe façon Mondrian ; nos deux Géraldine, l’une d’Antony, l’autre de Paris et notre jeune couple de tourterelles fidèle à nos diners, Claire et Adriana. Table n°3, Jacqueline Jolie, en robe noire, jouait avec une étole rouge, cachant un instant ou son menton ou sa bouche ou ses yeux, minaudant comme une star qu’elle est. Notre amie initia à nos diners Delphine, dont c’était la toute première sortie : elle étrennait donc un pull noir à facettes incrustées brillantes sur une jupe noire. Nous saurons plus tard que cette nouvelle convive fut enchantée par l’accueil et la gentillesse qu’elle reçut.
Cette table de Clotilde, une fois encore, avait rempli son objet : immerger les débutantes dans un lieu public sans avoir à éprouver la moindre crainte. Après un an d’absence, Anne nous revenait, avec un haut noir à volants gris sur une jupe noire. Un bracelet d’argent, large et à motifs floraux entrelacés, accessoirisait son look. Sonia, elle-aussi, avait privilégié le noir et le rouge pour valoriser sa blonde chevelure naturelle, qui la veille, avait été soignée par un coiffeur complice dans un salon de coiffure des plus chics. Et Nadia, en pantalon, avait un cardigan noir. Sa longue chevelure acajou virevoltait. Agnès de Pau surgit, moulée dans une magnifique robe ultra-courte, s’installa table n°4 et aussitôt pipeletta avec Heline, ravie de pipeletter et qui n’a pas l’étiquette ostentatoire aussi me demandai-je si sa blouse grise transparente à ocelles noires n’était pas signée Balenciaga…Je crois que oui. Enfin, table n°5, Aurélie d’Antony confirmait que son pull blanc illumine son joli petit minois et ses yeux noirs au regard profond et malicieux à la fois. Lydie portait une jupe à motif pied-de-poule (et je vous apprendrai vraisemblablement que ce fil est déjà teint avant qu’il ne soit tissé). Quant à Marie, elle s’était transformée ce soir en petit chaperon rouge entièrement vêtu de rouge. Jusqu’aux ongles.

Ainsi, chaque mois, de table en table s’assemblent, se retrouvent les amies d’un soir, amies de robe à la destinée singulière, à la vie doublée et qui compte double par ce transgenre vécu : cette expérience est intransmissible. Dans ce restaurant, beaucoup de clients, s’ils nous remarquent, ne s’attardent pas à nous reluquer, signe de leur indifférence. Ceux qui nous matent sont soient des provinciaux en goguette dans la capitale soient des hommes à qui nous renvoyons involontairement leurs désirs secrets et inavoués.

Personne n’est irremplaçable, dit-on. Mais chaque personne est unique, précise-t-on aussitôt. Un seul être vous manque et tout est dépeuplé, a dit le poète. Il y avait une chaise vide dans nos cœurs, ce soir pourtant : celle de Clotilde, absente pour une raison d’ordre privé. Nous souhaitons la retrouver le mois prochain, inchangée, avec sa courtoisie, son charisme et ses attentions. Avec 20 personnes ce soir à sa table, Clotilde eut été pleinement satisfaite.

Puis la nuit nous enveloppa bien vite, after soon midnight. Rendez-vous est pris pour le vendredi 9 novembre 2012
Krissie

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