La table de Clotilde du 14 janvier 2011

Le temps était à l'étrangeté : dans les rues, douceur hivernale et froidure printanière se succédaient. Le manteau était de rigueur mais l'écharpe, de trop. A moins que ce ne fut l'inverse.
Une pluie tombait, si fine qu'on se demandait pourquoi : peut-être se retenait-elle d'importuner nos féminines amies se dirigeant vers le restaurant "l'Absinthe" ?.
  Entre apéritif et plats, Jacqueline Jolie conversait déjà avec ses voisins de table, de tolérantes gens certes, mais pas du tout au fait des us, coutumes et désirs de notre petite assemblée mensuelle. Clotilde, -ce soir avec un superbe corsage beige imprimé de fleurs mauves et grises-, ne manque jamais elle aussi d'entamer le dialogue avec d'inconnus convives. Tel est le double but de ces soirées : tant fuir un ghetto communautariste et vivre pleinement aux côtés d'ordinaires gens qu'aider nos amies débutantes en les immergeant dans le vécu d'un banal diner.
   Conteuse née, Marie-Pierre provoquait les éclats de rire en rapportant, étirant, délayant une blague à l'imprévisible chute, blague à la fois transgenre et féministe. Marie portait un magnifique gilet à fond noir avec motifs animaliers et floraux dorés savamment entrelacés. Pour Lydie, un foulard vert d'eau retombait de part et d'autre du cou sur un très beau corsage blanc à encolure de dentelles noires avec manches de mousseline noire et frangées.A cette table viendraient s'asseoir les tourterelles Estelle et Adriana, rejointes plus tard par notre amie anglaise Allison.  
   Un peu plus loin, Loan nous disait avoir fait de sa participation au documentaire « ces messieurs-dames » un coming-out télévisuel : une caissière de supermarché la reconnut le lendemain et la félicita pour son courage. Kim avait décliné ses vêtements bruns avec sa chevelure fauve ; elle écoutait patiemment Aurélie nous expliquer les nouvelles hypothèses des scientifiques sur l'avant-big bang. D'ailleurs, les conversations commentaient l'actualité internationale, les inconvénients de l'épilation par électrolyse, les tactiques rusées pour profiter des soldes, les enseignes des chausseurs de grandes pointures et la météo capricieuse et déroutante.  
 
Nouvelle venue sinon nouvelle recrue, Marie-Claude avait harmonisé son pull et son fard à paupières à ses yeux bleus. On servait les desserts, tiramisu, tartes tatin ou compotes de fruit, lorsque Perle et Nicole arrivaient, s'installaient en hâte, commandaient leurs plats. Magaly se mouvait dans une robe en jean coquinement courte pour ne pas cacher ses longues jambes fuselées de noir. Géraldine d'Antony nous confiait ses soucis de chevelure à laquer ou pas. Géraldine de Paris, habillée très sexy, surgissait de sa nuit qu'elle poursuivrait amusée jusqu'à l'aube.On s'attendrissait à regarder et caresser deux chiots à museau noir et poils blancs et répondant aux noms incongrus de Kennedy et de Freud. On s'attardait à parler avec leurs maîtres. On endossait les manteaux, on nouait les écharpes.
Et nous nous séparâmes.

 
Rendez-vous fut pris pour le vendredi 11 février à 20 h
dans un autre établissement, l'Apollo, 3 place Denfert-Rochereau proche de la station de métro RER.

Krissie

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